Considérations photoniques
VEILLER :
Photographier est avant tout une question d’éveil.
La photographie est une chasse non prédatrice, une poursuite sans victime. Photographier c’est traquer sans tuer : une façon d’aller vers le réel, de le débusquer ou de cueillir les choses qui viennent à nous. On joue avec le hasard, et on témoigne, par des fragments visuels, de nos rencontres avec le Monde.
De fait, dans la plupart des cas il s’agit d’opportunités; et si elles manquent on peut essayer de les produire (ce qui a tendance à provoquer la chance). Une des qualités de la photographie est d’être une activité où, si tu provoques la chance, crées l’opportunité, elles te répondent quasi-systématiquement, et plutôt favorablement.
On peut aussi considérer que la photographie est un sport : elle incite à marcher, se promener, dans la nature ou en ville, à l’extérieur comme à l’intérieur, jusqu’à…chez soi, voire soi-même (inépuisables auto-portraits).
Il reste qu’une photo intéressante est toujours une conjonction de chance et d’intuition – mais la chance est à chercher et l’intuition à cultiver.
En cela la photo est le plus spontané et plus facile art de l’émerveillement. De fait, il n’y a qu’une qualité à avoir et à cultiver pour être photographe : la curiosité. Admiration et sa fille Curiosité sont les 2 principales motivations de la photographie.
Photographier autre chose, ailleurs, ce qu’on ne photographie pas : trouver vraiment la Beauté d’ailleurs, de l’Altérité, initialement invisible.
Chercher de nouveaux territoires.
Photographier c’est écouter la lumière. Traquer les photons.
Enfin, il faut savoir être rapide. Très rapide. Pour rattraper l’Instant, la vague du temps, par rapport à laquelle la pensée nous a décalé. Il ne faut pas penser, il faut être –veiller et ACCOMPLIR chaque seconde de notre existence.
APPRECIER :
Peut-être que la première question à se poser dès lors qu’on décide de prendre des photos est : qu’est-ce qui me plaît ?
Si l’on considère – comme l’Ecureuil – que photographier c’est admirer, la photo est hommage. La photo est Célébration.
Encore une fois : l’esthète est un chasseur. Il traque la beauté, sous toutes ses formes, quitte à la produire par lui-même. Très souvent avec le fantasme présomptueux de vouloir l’immortaliser.
L’esthète peut ainsi devenir une sorte de taxidermiste de la Beauté.
Personnellement, finalement ce n’est plus tant la beauté que l’intensité que je recherche en photo – intensité que je trouve belle, bien sûr.
De fait, sans en être vraiment conscient au début, c’est toujours l’intensité que j’ai recherchée, davantage que la beauté : les rapports entre les formes, entre les formes et les couleurs, entre les couleurs, entre espaces et mouvements, tous ces éléments produisant des tensions.
S’agissant de stricte appréciation des beautés, certaines photos que je prends me procurent vraiment des orgasmes visuels; au moins des délices rétiniens.
Ce n’est pas ce qui « fait sens » que je photographie, pas ce qui est beau, non plus, mais ce qui produit une apparence de puissance, ce qui provoque une impression de tension, à la fois dans le sujet photographié et dans l’individu qui regarde mes photos. C’est la tension qui me plait, m’attire, m’inspire et même m’interpelle vraiment : tout ce que je photographie m’a d’abord apostrophé. Ce peut être une tension physique ou psychologique (de toute façon, visuellement, une tension physique entraîne une tension psychologique) ou les deux.
Par exemple : les nuits d’automne et d’hiver ont une intensité, une précision et profondeur des noirs notamment, que je préfère à celles de printemps et d’été. Visuellement je préfère les nuits d’automne et d’hiver, mais tactilement – pour les odeurs et le toucher, dont la température, bien sûr – je préfère celles de printemps et d’été.
Je considère chacune de mes photos dont je suis satisfait comme un poème. La poésie est une philosophie esthète, ou un esthétisme philosophique. Résolument et systématiquement mes photos sont des hommages. Des hommages au Monde et aux Réalités.
Il peut être utile de se souvenir que, dans une appréciation esthétique (comme dans ce qui peut en découler : une critique – qu’elle soit favorable ou non) de quoi que ce soit : un tableau, une sculpture ou un paysage, on oublie systématiquement quelque chose ; peut-être l’essentiel…
Enfin, en art, quelle que soit sa forme, la principale chose à avoir en tête et à faire c’est : SE FAIRE PLAISIR.
En art, peut-être encore plus qu’ailleurs, il faut se faire plaisir. Sinon on (se) ment.
DISCERNER :
Avant un bon photographe il y a des bons sujets; et tout l’art consiste à percevoir les bons sujets.
Photographier c’est choisir : décider ce qui dans le général mérite d’être extrait comme particulier. La photo est une estimation; photographier c’est juger.
Photographier c’est voir, apercevoir : discerner. C’est l’expression et l’essence même du rapport visuel de l’individu au monde : toute photo est un verdict, une sentence.
A titre d’exemple, il peut être intéressant de constater que la seule façon, le seul mode photographique qui m’ait paru approprié pour retranscrire l’Inde ait été la pose longue, pour montrer le mouvement et la fusion, et souvent de nuit.
COMPOSER :
Une bonne photo c’est 70% le sujet, 20% la composition et 10% la chance. Quant au talent il consiste à savoir choisir les sujets – ça peut s’apprendre si ce n’est pas intuitif, et surtout ça peut s’améliorer : par la pratique.
Ce qui m’intéresse dans la photo, et se révèle à moi grâce à elle, c’est le rapport entre les couleurs et les formes. Rapports dynamiques, sensuels et…intellectuels, ou au moins intellectualisés : irrépressiblement signifiants, même si souvent informulables…autrement que par l’image. Peut-être est-ce là une des caractéristiques d’une bonne photo : rendre les mots inutiles, ou superflus.
Et entre les couleurs et les formes, le plus important pour moi ce sont les formes. Les formes manifestent, signifient, indiquent, expriment : elles sont actives, même si figées, et expriment activement quelque chose.
Les couleurs parachèvent les formes, mais il leur arrivent parfois d’avoir une telle force qu’elles puissent même se contenter du strict minimum : un aplat.
Aux couleurs la force, aux formes la puissance.
La photo me permet de produire de la beauté en en capturant la surface, mais c’est une beauté d’intelligence, que j’essaie de montrer : une beauté de nature intellectuelle, mentale, psychique. Par des formes qui trouvent leur écho dans le fonctionnement psychique humain. De fait, la plupart de mes photos s’adressent aux structures psychiques qui ont par ailleurs produit la plupart des formes que je présente : les lignes droites, les verticales, les angles…
Mais je veux aussi capter de l’émotionnel, de l’émotion, et pour cela il me faut donc photographier…le Vivant : les chairs, les corps.
Enfin, si au début j’ai surtout réagi et agi en fonction des formes et couleurs, j’en suis venu à prendre conscience – évidence, pourtant !… – de l’importance fondamentale et cruciale de : la LUMIERE. En photo, tout est et vient avec la Lumière.
A présent j’ai tendance – heureusement – à considérer le monde en fonction de la lumière, DES lumières : directes, réfléchies, blanches, colorées…
Faire de la photographie sans considérer la lumière c’est comme aborder un animal sans s’occuper de sa vie.
Et pour conclure, mon paramètre favori, celui qui – presque – peut déterminer toute photo : la VITESSE d’obturation. Chaque objet, chaque sujet, et par suite chaque IDEE de photo que l’on veut réaliser a sa propre vitesse : tout EST Vitesse.
Ainsi, d’un certaine façon, tout photographe est une sorte de…surfeur.
Petit rappel. Pour ce qui est du post-traitement des photographies, il est important de se souvenir d’une chose : le plus important c’est de prendre des photos; pas de faire de la retouche. Et : si on doit beaucoup retoucher une photo c’est qu’elle n’est pas bonne (ou alors qu’on s’est changé en graphiste).
SIGNIFIER :
Tellement présente, tellement facile, on pense la photo évidente…Loin de là. La photo est complexe.
Son attrait réside, consciemment ou non, en ce qu’elle réalise un des fantasmes les plus profonds de l’être humain : arrêter le temps.
Figer l’instant. Voir son synonyme : « un instantané ».
Une photo est une proclamation : la Réalité a été AINSI à un instant précis. Le Monde a été ça et ne le sera plus jamais; mais on peut s’en souvenir, en garder TRACE. La photo est trace. La photo est Résistance : elle résiste à la dissolution continuelle, elle résiste à la grande dispersion, la grande dissipation.
Fantasme ultime de l’écriture lumineuse : immortaliser ce qui n’est pas immortel : le furtif, le ténu…le Vivant.
La photo est entêtée, têtue et s’adresse à la tête autant qu’au coeur. Davantage à la tête qu’au coeur. Qu’elle nous émeuve ou nous perturbe de quelque façon que ce soit, c’est par la pensée que la photo trouve accès en nous.
On croit la photo sensible, sensitive, voire sensuelle, mais avant cela, et pendant, et après, elle est intellectuelle. Elle est intellect.
Même si sa motivation est sensitive, sensible, c’est toujours l’intellect qui la compose – et qui la réceptionne.
Ainsi la photo réfléchit et fait réfléchir – aux deux sens du terme : réflection et réflexion.
La vie est art : comme lui, inutile et pourtant indispensable, horrible mais magnifique, gratuite et inestimable – la Vie est Art.
Une photo est une expression : celle de son auteur; sinon elle n’existerait pas (ou alors prise par inadvertance).
De fait, la plupart de mes photos expriment quelque chose. Presque systématiquement. . Elles « font sens », elles « sont » sens (dans toutes les acceptions de ce dernier terme). Par leurs constructions, leurs formes, elles indiquent, décrivent : montrent. Soit elles exposent parce que le sujet que je photographie le fait de lui-même, est porteur de ce message et je n’en suis que le capteur, le messager; soit, par mon cadrage et mon angle, je vais susciter une prise de conscience chez l’observateur : le mener, sinon contraindre, à envisager la scène d’une certaine façon, à l’interprèter d’une certaine façon, à penser d’une certaine façon, ou au moins s’interroger – en tout cas : à voir ce qu’il n’avait peut-être pas vu.
Une grande part de la force de la photo par rapport à la vidéo est que la photo force l’esprit à s’activer alors que la vidéo le laisse plus facilement passif. La photo nécessite une implication de son spectateur alors que la vidéo pas forcément.
A ce titre, on peut aussi considérer que tout art est psychanalytique, au moins pour son auteur : plus l’œuvre d’art est maîtrisée et appliquée, plus elle constitue une forme de catharsis. Il en va ainsi de la photographie : montre-moi ce que tu regardes, je te dirai qui tu es…
Personnellement je perçois l’Esthétisme comme étant une Intelligence, la Beauté m’apparaît comme une Pertinence.
La Beauté est une Lumière et l’Art est un phare.
Le Mystère Humain :
Les paysages les plus intéressants à photographier sont les visages humains.
Il est intéressant de constater que quand il s’agit de photographier des objets j’ai une facile intuition, immédiate la plupart du temps, de comment les photographier : l’angle, la distance, la lumière. Mais dès qu’il s’agit d’êtres vivants, et à fortiori d’humains, je suis perdu : je ne sais quel angle prendre, quoi mettre en valeur; ou du moins ai-je plus de mal à trouver.
Soit que je perçoive les visages comme sans accroche, soit que j’en perçoive trop.
D’une certaine façon je perçois les objets comme étant, et ayant, une seule forme optimale; alors que je perçois les humains comme en ayant beaucoup, et changeantes – même quand ils sont statiques !
De fait, selon mon esprit et mes perceptions, un objet ne change pas (tant que la lumière ne varie pas) tandis qu’un humain est en évolution constante, indépendamment des éléments extérieurs, qui en plus ajoutent des variations.
Il est intéressant de noter que les formes des femmes (ou des hommes) peuvent atteindre la perfection à certain moment précis. Tout au moins, elles s’optimisent en vertu de tel mouvement et à un instant et lieu précis de ce mouvement.
Ainsi, au cours de sa démarche, une seule de ses 2 fesses va avoir un galbe plus exquis, et, à un moment précis, la forme prendra toute sa plénitude et toute sa grâce. Par le fait d’un certain rebondissement de la chair. Et ce sera toujours le même pour la même personne.
Ainsi, chacun, chacune a son meilleur « positionnement » : son agencement (de matière) optimal.
« Jolie » c’est ce qu’on voit; « belle » c’est ce qu’on ressent…
Certaines personnes peuvent être jolies, mais pas forcément belles… Le joli est facile à photographier ; le beau est plus difficile à capter.
Ce qu’on admire, instinctivement, dans le corps des femmes, ou des hommes, c’est l’optimisation du rapport entre forme et énergie : l’actualisation optimale, la meilleure, entre une énergie – potentielle, ensemble de possibles – et sa réalisation en formes.
APPRENDRE :
Pourquoi parler d’apprendre en dernier ? Parce que, certes, la technique est importante, ainsi que l’expérience, mais l’essentiel est l’envie, l’enthousiasme, le désir : la passion.
Un excellent technicien sans passion produira des photos parfaitement…insipides, émotionnellement ternes ; tandis qu’un passionné produira des visions peut-être imparfaites mais fortes, intriguantes, captivantes, émouvantes.
Là est toute la différence, là est toute la richesse.
Il faut du temps et une pratique assidue, pour commencer à être un photographe (techniquement) correct. En effet, la technique – au moins dans ses grandes lignes – peut être rapidement maîtrisée, même s’il restera à toujours affiner (ce qui fera au final la différence) mais surtout il faut du temps pour que l’oeil, le goût et le jugement se raffinent, en identifiant et se débarrassant de tout ce qui est inutile et même néfaste : les affèteries, la prétention, la frime, la complaisance, la vanité, le côté racoleur…
Non, essayer plutôt de faire exactement ce qui nous plaît, sans se soucier le moins du monde de ce qu’autrui en pensera.
Ne pas oublier non plus que l’on restera toujours étudiant, apprenti – et tant mieux !
Les magazines spécialisés ainsi que les livres sont de précieuses sources d’informations, d’enseignements, voire d’idées.
En art, comme dans d’autres domaines, surtout pour les indécis, c’est en faisant qu’on apprend quoi faire.
C’est en faisant que tu sauras quoi faire.